ARCKANUM - Antikosmos
Putain dix ans... Et hop, Shamaatae nous sort
d'un seul coup d'un seul, deux E.P et cet album. Une décennie s'est
écoulée depuis Kampen, troisième full-lenght du Suédois : Antikosmos
est donc très certainement un des disques les plus attendus de cette
année par la scène Black Metal. C'est le label français Debemur Morti
Productions qui a l'honneur de produire cette sortie. ARCKANUM est
revenu. ARCKANUM, groupe « culte », ou au moins mythique du Black Metal
scandinave. En dix ans, bien des choses changent. ARCKANUM a-t-il
changé ? Sa voix, sa couleur, son identité très singulière ont-elles
évolué ? Nul doute – impossible d'esquiver les progrès de la
technologie. Et musicalement ? Forcément. En dix ans, on ne peut rester
fermé à toute écoute (surtout quand on a les deux pieds dans le monde
du metal extrême comme les a Shaamatae), ni cloîtré dans sa caverne et
décider un beau matin, tel Zarathoustra descendant de sa montagne,
d'aller enregistrer un disque selon l'inspiration du moment (mais là,
j'en ai bien peur)... Bon, ok vous l'aurez pigé, inutile de tourner
plus que ça autour du pot : ARCKANUM n'a plus le même visage que celui
qu'on lui connaissait. Je n'ai pas dit qu'il n'était plus
reconnaissable, non. Mais presque...
C'est la production qui m'a immédiatement frappé. Ce son moderne et
puissant, encore organique certes mais quand même, n'était pas celui
que je lui connaissais il y a dix ans. Je ne dis pas que ce changement
est un mal – il met en valeur plus de sonorités et affine la technique
de notre homme-orchestre – mais il surprend. La production d'ARCKANUM
auparavant était bien plus charnelle, sale et chaotique. Et pour parer
à cela, comme si c'était ce que notre Suédois désirait depuis toujours,
il a enregistré Antikosmos au Sunlight Studio et l'a fait mixé par son
pote Stjerna (ancien batteur de FUNERAL MIST et nouveau pape du son «
Satanic Orthodox ») en son antre le Necromorbus Studio... Bref : ce
n'est pas hasardeux. Et ARCKANUM prend un tout autre visage. ARCKANUM
ne fait plus partie des Nuits ténébreuses de l'histoire du Black Metal.
Oubliez ça et ravalez votre morve. Les percussion barbares, la tension
de la bataille et la folie du chaos semblent avoir été irrémédiablement
évacuées. Le plus court des quatre albums d'ARCKANUM a perdu beaucoup
de la magie « khao-gnostique anti-kosmique » conceptualisée par son
auteur (qui a écrit quelques essais sur cela).
Ok. Le son a changé et il change tout. Et la musique ? ARCKANUM
pratique-t-il encore, au long de ces maigres trente-sept minutes, son
Black Metal « forestier » à haute teneur en sentiments païens,
cosmiques et blasphématoires ? Hum... Parfois oui, parfois non, mais
plus non que oui. J'ai l'impression qu'Antikosmos se coupe en deux.
Shamaatae propose tantôt des passages païens, tantôt des passages plus
thrash et n'hésite pas à mélanger les deux – voire carrément, il
n'hésite pas à faire du metal moderne à la suédoise. Il comble aussi
les trous – en panne d'inspiration. Faisons le tour du propriétaire...
"Svarti" ouvre le bal. Après une intro chamano-cosmique où Shamaatae
scande ses incantations, on se prend en pleine poire ce titre taillé
sur mesure pour défoncer la gueule. Ça commence vite et fort, tout en
tension. On retrouve ARCKANUM d'emblée je dirais. Même le premier break
sonne ARCKANUM. Néanmoins, y'a quelques petits airs de déjà entendu et
ça, ça me saoule vraiment, surtout venant de CE groupe. Malgré tout, on
doit reconnaître au Suédois qu'on n'a rien à lui apprendre sur la
manière de mettre du groove dans son metal. Bon titre donc.
"Daudmellin" poursuit avec le même entrain. Encore une fois – je crois
que je dois me faire une raison – Shamaatae mêle des riffs proprement
arckanumiens à des riffs plus conventionnels. Cela donne plus de pêche
et de modernité à son style, mais le dénature trop à mon goût. J'ai du
mal à accrocher. Heureusement qu'il n'oublie pas en route d'intégrer
des plans plus barbares pour pimenter le tout... "Rokulfargnyr" nous
rentre dans le lard avec de gros « muts » très thrashy : c'est
franchement surprenant mais désagréable. Et puis le jeu de batterie qui
suit : my god ! C'est inutile d'autant qu'il revient à du pur ARCKANUM
ensuite et là, ça tabasse. Il fume trop d'herbe notre vieux suédois...
"Blota Loka" est un interlude qui surprend, encoooore : le maître
déclame, voix modifiée et chuchotante, avec des sons évoquant l'espace
ou les films de S-F : bizarre... Décevant. Je ne rentre pas dans le
trip. "Nakjeptir" fait lui aussi appel aux « muts » : ça devient lourd.
Alors peut-être que je ne connais pas bien la musique d'ARCKANUM (je
pense plutôt le contraire) et je sais bien que l'insertion de Thrash
dans le Black aujourd'hui fait fleurette, mais l'identité que l'on
connaissait d'ARCKANUM n'y faisait pas appel. Surtout qu'en plus,
Shaamatae place un solo bien Heavy et que le titre reste mid-tempo.
Nous avons passé la moitié du disque (déjà ! Autre déception...) et je
peux déjà affirmer que cette grosse spiritualité qui structurait, qui
personnalisait ARCKANUM, s'est fortement étiolée et a laissé la place à
un visage plus traditionnel, plus metal qui ne transpirait pas autant.
Shamaatae continue de nous prendre pour des balourds avec un
instrumental à deux voix de guitare, "Eksortna", ce durant une minute
et demi : i-nu-tile. "Su Vitran" est déjà l'avant-dernière piste. Mais
elle est certainement « la plus » ARCKANUM dans l'âme. Commençant vite
sur le premier tiers, elle ralentit et pose des ambiances terribles
ensuite. Excellent. Vient la dernière : "Formala". Le SATYRICON
d'aujourd'hui serait satisfait d'un tel morceau : lent, lourd,
processionnaire et conduisant à la mort... Mais si loin de la
personnalité d'antan...
Je l'ai attendu très, très, très longtemps cet Antikosmos. Peut-être
trop. C'était évident que Shaamatae évoluerait. Heureusement pour lui !
Mais sa musique s'est grandement dénaturée et a perdu en qualité.
L'inspiration n'est plus vraiment là et le Suédois comble les nids de
poule avec du sable dans cette impasse qu'est Antikosmos..
L'intégration de plans modernes et Thrash, la perte du son chaotique et
saturé qui contribuait beaucoup aux ambiances et tout simplement,
l'évacuation de l'identité barbare et païenne d'ARCKANUM font de cet
Antikosmos est une amère déception. Il aura son public – un nouveau
public. Pour moi, c'est une grosse déception.